Parmi toutes les oeuvres qui peuplent notre imaginaire, certaines proposent la découverte
d’un monde singulier, avec ses lois et ses principes, ses codes et ses symboles…
Une fois réunis, tous ces éléments constituent une “mythologie”. Bienvenue dans les paysages de l’esprit : vous regardez MythoLogics.
Hellraiser est l’une des oeuvres pour lesquelles j’ai voulu commencer Mythologics.
Cette fabuleuse histoire de casses-têtes anciens qui une fois résolus, ouvrent des portes sur l’Enfer m’a toujours fasciné.
Et puis un jour, un homme m’a contacté pour me faire don d’une boîte de Lemarchand,
artefact que je convoitais depuis tant d’années. La nuit dernière, luttant contre la peur et l’envie, j’ai enfin effectué le rituel
en décryptant la configuration des lamentations. Après tant de recherches, Je pensais bien connaître les secrets du Hellraiser.
Mais le mécanisme a pris vie, la boîte s’est ouverte… alors seulement j’ai compris…
Pour cet épisode, j’ai pensé nécessaire de faire un petit avertissement. Si vous n’avez pas 16 ans, que vous êtes impressionnables ou étrangers aux ténèbres
artistiques, je vous suggère avec bienveillance d’éviter cette vidéo. Si par contre vous chérissez les mythologies modernes, la création d’univers et ses
aléas ; si l’horreur et ses symboles vous fascinent alors soyez prêts… Car vous entrez dans la cathédrale la plus infernale de la galaxie fantastique : Hellraiser.
LES PAYSAGES DE L'ESPRIT
Avant de commencer notre descente vers l’Enfer, je voudrais vous inviter à prendre un instant
la place d’un créateur de contes horrifiques. Comme vous êtes un créatif exigeant, vous avez pour ambition secrète d’inventer un
univers original et détaillé. On y trouvera des abominations mémorables, des images saisissantes, des concepts riches
et une profondeur qui vous permettront les libertés les plus incroyables. Une idée vous vient alors et vous ouvrez votre carnet, contemplant l’infini des possibilités
: Il faut certes des protagonistes auxquels tous s’identifieront, mais surtout des antagonistes charismatiques, aux pouvoirs inhumains, à l’apparence légendaire et terrorisante.
Ainsi l’oeuvre marquera les esprits, habitera les cauchemars de générations, et permettra
aux monde de rêver et fantasmer au travers de vos visions cathartiques. Le XXème siècle a vu exploser une culture horrifique riche et complexe, forte de figures
iconiques nombreuses devenues des classiques. Il est donc ardu de proposer des choses totalement nouvelles … Surtout que vous êtes en 1986,
et que l'âge d’or de l’horreur est à son apogée. Que vous reste t’il de nouveau à créer ? Comment ne pas reproduire ? Comment briller
plus fort que les autres dans une galaxie déjà éblouissante ? Imaginez maintenant que Vous êtes...
Clive Barker. Vous êtes un jeune écrivain fantastique plein d’ambition et de talent. Votre premier recueil, les livres de sang, a bonne presse et le grand Stephen King lui
même répète à qui veut l’entendre qu’il a vu le futur de l’horreur... et que son nom est Clive Barker.
Vous le sentez, Vous êtes au seuil de votre carrière créative et en vous bouillonnent des concepts fous et l’envie de mettre en forme les cauchemars raffinés qui vous habitent.
D'ailleurs depuis quelques temps, une histoire vous obsède. Vous sentez qu’elle est différente, qu’elle recèle une richesse vertigineuse et luit
d’un noir de ténèbres. Au terme d'une écriture fiévreuse et passionnée, votre roman sort enfin: il s’intitule The
Hellbound Heart, littéralement le coeur lié à l’enfer. Même si le succès littéraire est satisfaisant, le monde n’a pas encore pris conscience
de votre histoire et de son potentiel. Le cinéma serait certes idéal Mais les studios vous ont déjà approché par deux fois et
ce qu’ils ont fait de vos histoires vous a déçu. Alors s’il faut un film pour que le monde sache, c’est vous qui le ferez, ou personne.
C’est ainsi qu’en 1987 sort Hellraiser. C'est l’adaptation directe de the Hellbound Heart, réalisée par Clive Barker lui-même.
Ce jeune anglais de 35 ans vient d’arriver à Hollywood et compte bien saisir cette occasion pour marquer les esprits. Passionné de la chose horrifique, Barker réussit un véritable tour de force.
Avec un budget limité et sans expérience cinématographique, Barker s’invite sans peine dans le panthéon de l’horreur universelle.
Et tout cela grâce à des concepts puissants et a des créatures qui n’ont pas d’égal en matière de terreur pure.
Ainsi, le monde découvre Hellraiser et sa mythologie, dont voici l'invitation narrative quasi parfaite : Il existe dans notre monde une boite magique, taillée dans le bois et
couverte d’or… Elle permettrait dit-on de découvrir des plaisirs que l’esprit ne peut qu’imaginer.
Malheureusement pour ceux qui la possèdent, la boite est en réalité une clé qui ouvre accès direct vers l’Enfer. De ce portail émergent les créatures les plus sadiques que l’enfer ait porté : les
Cénobites. Le film est un succès car en plus d’une histoire marquante et vénéneuse, d’un
score musical magnifique et d’acteurs impliqués, il donne naissance à une nouvelle icône du cinéma de genre, que le public baptisera Pinhead.
Cet homme au teint bleuâtre et cireux, coiffé de clous et paré de sombre cuir a rejoint
sans attendre les Freddy, Jason et autres Leatherface à la table de nos cauchemars. Le film aura même droit à une suite directe, Hellbound dont Barker co-écrira le scénario.
Cette séquelle de qualité nous emmène en enfer et nous en montre un peu plus des cénobites. Sur les opus 3 et 4 Barker n’est plus que consultant... et à partir du 5eme et jusqu’au
9eme film, Barker s'éclipse d’une franchise qui va sombrer dans l’obscurité des films dispensables. À l’origine de ce délitement, la cession par Barker de ses droits d'auteurs aux producteurs,
et ce dès le premier film. Et très vite, la saga lui échappe... au point de faire de Hellraiser le plus grand
rendez-vous manqué de l’Histoire du cinéma horrifique. On regarde certes chaque nouvelle sortie mais plus par nostalgie des premiers films que
par réel espoir. On guette surtout, un peu coupables, l’arrivée de nouveaux cénobites, qui même dans un
mauvais film, restent des monstres fascinants et malsains. Malheureusement pour nous, les films ne livrent que peu d’éléments mythologiques
et des réalisations sans âme achèveront de tuer la franchise. Lorsque j’ai découvert la franchise, j’ignorais totalement qu’il existait romans et comics
donnant vie à un univers étendu. C’est seulement pour cet épisode que je me suis attelé à explorer en profondeur
ce que Barker et d'autres ont imaginé sur tous ces médiums. Et après plusieurs mois de recherches, de visionnages et de lectures où la terreur
n’avait d’égale que l’émerveillement, je suis toujours incrédule devant ce à côté de quoi nous sommes passés.
Ainsi nous fallait il tout reprendre à zéro… C’est donc ici que commence notre voyage dans l’enfer de Léviathan.
L'APPEL DES ENFERS
Tout récit de la saga commence par une boîte mystérieuse qui un jour se retrouve entre les mains d'une personne.
Mais la boite choisit-elle ses victimes au hasard ? Avant de parler de cet artefact maléfique, il me faut donc vous rassurer : la boîte
ne surgit pas aléatoirement dans votre vie… Elle n'apparaît qu'à un certains nombre de profils. Après avoir parcouru toutes les histoires de la Saga Il est possible de dégager des
grandes familles de candidats à la damnation, afin de comprendre quels profils recherchent les recruteurs de l'enfer.
Tout d’abord il y a ceux que l’on pourrait appeler les Explorateurs. Qui n'a pas rêvé d'en savoir plus sur les secrets du monde ?
A l’instar de Franck dans l'histoire originelle, les explorateurs sont en recherche de savoirs secrets et de plaisir défendus.
Ainsi rien d’étonnant à trouver parmi nos victimes 2 journalistes, une photographe,
un explorateur, un bibliothécaire ou encore un détective désabusé. Quelque soit le but de leur recherche, elle les conduit dans des recoins obscurs de la
réalité et de la raison. Ces profils ont pour trait commun la quête d’une vérité dissimulée et cette avide
soif de savoir les mène implacablement vers la boite, quand ce n’est pas elle qui vient à eux.
Elle est souvent symbolique du prix à payer pour ceux qui cherchent à découvrir ce qu’un humain ne devrait pas savoir.
Mais il est une autre famille, encore plus dédiée à la recherche empirique dans l’inconnu, c’est celle des Scientifiques.
On trouve ainsi un docteur, un chercheur en réalité virtuelle, une virologue ou encore un chercheur en physique.
Soit ces métiers sont au plus près de la vie et de la mort, soit ils soulèvent des questionnements moraux et éthiques dont sont friands les monstres invités par la boite.
Mais en dehors de ceux qui sont en quête de vérité mystique ou scientifique, il y a d’autres profils plus sombres qui viennent enrichir la liste de nos candidats.
La famille la plus inattendue est celle des Âmes perdues : la boite surgit souvent entre les mains de gens désespérés, soit pour abréger leur souffrance, soit pour étancher
leur soif de vengeance... envers ceux qu'ils estiment responsables. Ainsi on trouve une femme dépressive qui se suicide dans sa baignoire, un régiment
d’anciens soldats traumatisés des horreurs de la guerre. Mais de façon plus surprenante, la boite apparait aussi par deux fois à des enfants
maltraités, qui sans le savoir vont invoquer les cenobites pour supprimer leur entourage toxique.
Mais malgré cette lueur de justice apparente que suggère ces deux derniers cas, la boite arrive souvent dans la vie d’êtres mal intentionnés, qui constituent la famille
des Criminels. Ces candidats évoluent dans des milieux mal famés à la morale souvent absente : parieur,
délinquants, membres de gangs ou prédateurs sexuels et même serial Killers. Ils sont quelque part les candidats les plus attendus dans notre acception traditionnelle de l’enfer
Judéo-Chrétien. Mais la famille qui possède le plus de membres est sans conteste celle des Castes dirigeantes
et par extension de tous ceux qui exercent et abusent d’un pouvoir sur les autres. Il est fascinant de voir que ces élus occupent différentes échelles de la société.
Du simple promoteur véreux au gérant violent d’une boite de nuit, en passant par un entraîneur de chevaux tortionnaire et un producteur malsain, celui qui abuse de sa position est un des
candidats favoris de la boîte. Il en va de même pour le pouvoir autoritaire exercé par un état ou une administration
: on trouve ainsi des soldats, des policiers et même un gardien de prison? Cette famille regroupe aussi des dirigeants, dictateurs, chefs d’entreprise et un conte
sanglant qui rentre des croisades. Enfin, chose qui pourrait paraître incongrue on trouve également plusieurs religieux intégristes
qui pensant invoquer Dieu ne récoltent que des Cénobites. Il existe une dernière famille qui est celle des créateurs
Mais il est encore trop tôt pour évoquer leur étrange spécificité… On pourrait croire que je n’ai pas encore dévoilé la Mythologie de la saga, mais on
vient pourtant d’en évoquer le cœur : c’est dans le domaine des ténèbres humaines que chassent les Cénobites.
Leur apparition est le couronnement sanglant d’une vie humaine vouée au côté obscur. Résonne alors cette citation de l’auteur : “Chacun d’entre nous est un livre de sang.
Ou que nous l’ouvrions, tout est rouge” Rien d’étonnant donc à voir dans les récits de la saga des références directes à des
périodes sombres de notre Histoire. Des colonisations violentes aux guerres fratricides, de l’esclavage à l’apartheid en passant
par les horreurs nazies, Hellraiser ne cesse de nous rappeller que la noirceur de ses Cenobites n’a rien à envier à celle des humains.
Avec sa charge fantastique, la saga aurait pu foncer tête baissée vers la Dark Fantasy
la plus décomplexée, mais le plus souvent les récits naissent au contraire dans des contextes très réalistes qui reflètent notre monde, nous mettant ainsi souvent face
à ce qu’on préférerait éviter…
LA BOITE DE PANDORE
Le moment est arrivé de vous parler de la boîte. Si l’on se base sur les films, on ne sait que peu de choses sur cet étrange artefact
: C’est une forme cubique ornée de motifs mystérieux. Concernant ses origines, le film Bloodline révèle qu’au XVIIIe siècle, un architecte
versé dans les arts occultes l’aurait fabriqué. Son nom était Philippe Lemarchand. Mais comme nous l’avons dit, les films ne révèlent rien de la complexité magnifique
et sophistiquée qui s’impatiente sur d’autres supports. Retraçons ensemble le parcours de ce mystérieux ingénieur pour comprendre son rôle et ses
motivations… Et puisque j’ai eu la chance de pouvoir le parcourir, je vous livre le contenu de son journal intime.
Nous somme en 1740. Philippe Lemarchand, architecte et artiste, voue un culte à la géométrie mais se trouve
frustré dans son processus créatif. Un soir dans une confrérie, il prend connaissance d’un manuel ésotérique traitant de géométrie
sacrée et de mystérieux Cenobytes… De plus en plus intrigué, Le marchand se lance dans une quête effrénée de connaissance
à ce sujet. Il dit parcourir les énigmes d’Albertus Magnus, dévorer les écrits de Saint Thomas d’Aquin, d’Agrippa ou de Pic de la Mirandole, qui tous font référence
aux cénobites. La technique de crédibilisation de la mythologie passe par la convocation de personnages historiques
et troubles. Au terme de ses recherches, Lemarchand devient obsédé par ces légendaires cenobites.
Bien qu’il pense qu’une partie de ces écrits affabulent, l’architecte quitte le domaine de la raison. Il glisse peu à peu vers le malsain en compulsant des ouvrages d’anatomie effrayants et surtout
en dévorantt les biographies de Gilles de Rais. Ce lieutenant de Jeanne d’Arc commit de son temps des méfaits si atroces qu’il
devînt l’inspirateur de Barbe bleue, bien présent dans notre imaginaire collectif. On lui reprocha lors de son procès le meurtre de 140 enfants et Gilles de Rais est souvent
évoqué comme l’un des premiers serial killer documenté de l’histoire. Dans le journal de ce sinistre personnage, Lemarchand découvre qu’un cénobite aurait
guidé le meurtrier dans ses basses oeuvres, mais surtout qu’il existe une boîte renfermant une formule magique qui permettrait d’invoquer le monstre.
Activant ses réseaux occultes, il parvient à se la procurer. Ce n’est donc pas Lemarchand qui invente la première boîte.
Par contre il analyse celle-ci jusqu’à en comprendre le mécanisme. Sa frustration s’enfuit à mesure qu’il s’approche de la connaissance suprème,
avec force croquis et calculs. Pour achever son apprentissage, il active un soir le mécanisme et invoque enfin Baron,
le fameux cénobite qui avait dicté ses actes à Gilles de Rais. Le cénobite observe les croquis de Lemarchand et ressent son obsession pour l’ordre et
la symétrie. Baron accepte que Lemarchand fabrique ses propres mécanismes pour invoquer des cenobites.
Il devient ainsi le premier humain à avoir le droit de fabriquer des boîtes.
Rentrons désormais dans les entrailles du mythe. Tout d'abord ce n'est pas le hasard qui faire surgir la boîte dans votre vie.
Ce sont les Cénobites qui vous ont repéré depuis l’Enfer et vous font parvenir le puzzle.
Mais nous reviendrons sur ce point un peu plus tard... Pour que les boîtes soient mythiques et crédibles, il faut donc leur créer une histoire mais
aussi une apparence marquante et des concepts de fonctionnement. Pour ce qui est de l'aspect, Il existe une multitude de designs différents.
La forme est très majoritairement cubique mais cette allure n’est pas exclusive. Pour s'en convaincre, il suffit de parcourir les pages maudites du Sigillum Diaboli, ouvrage
qui recense les apparences et effets de toutes les boîtes. Sur les parois de celles ci, des symboles mystiques et des formes sur lesquelles certains
mouvements de doigts précis doivent être appliqués, afin d’en activer le mécanisme. Toutes les inscriptions de la boîte tirent leur symbolique de multiples sources occultes
et maléfiques. Ces marques sont donc un concentré démentiel de magie noire et de savoirs interdits. On y trouve des références aux mythes indiens, à la cabbale juive, aux traités de démonologie
ou encore à la Bible, comme si la boite était une imbrication de plusieurs savoirs maudits, une clé vers les ténèbres.
Une fois le puzzle commencé, une mélodie de boite à musique se fait entendre, qui s'amplifie à mesure que la résolution avance.
Le déclic final retentit, la boîte de met en mouvement, pivote sur elle même et se
métamorphose, soumise à une sinistre logique. Enfin une cloche résonne, tel un glas infernal.
On peut entendre la pierre des murs gémir et se désagréger à l’approche des Cénobites. Puis les parois de la pièce s’écartent et une lumière bleutée jaillit de l’obscurité.
Des ombres malades se dessinent, ils sont là. Et à moins d’un marché ou d’un miracle, ils repartiront avec vous pour vous faire
connaître l’Enfer. Juste avant de voir ce qui arrive aux malheureux élus, un dernier point de taille sur les
boîtes magiques : bien qu’elles soient pratiques, elles ne sont pas le seul moyen d’en appeler aux Enfers.
En résolvant les boites, on accomplit en fait un rituel géométrique appelé Configuration. Dans les films, les formules magiques sont cachées dans ces boîtes puzzles, mais des
configurations bien plus étonnantes ont existé. Certaines peuvent prendre la forme d’une montre à gousset, d'autres les atours d’une
innocente boîte à musique. On trouve également une configuration en -400 avant Jésus Christ qui se montre sous
l’apparence d’une table en pierre devant laquelle des incantations doivent être prononcées… Plus surprenant encore, Lemarchand a par exemple construit des bâtiments dans lesquels se
dissimulent le sombre rituel. C’est le cas pour un centre de traitement de la lèpre, pour une pension d’artiste
à Paris mais aussi pour un immeuble inquiétant. Pour ce dernier, c’est le trajet effectué avec l’ascenseur qui permet de donner vie
à la configuration. Mais cela marche aussi avec une guitare si les accords joués suivent un certain pattern. Mais les configurations peuvent aussi se cacher dans les pièces en carton d’un puzzle à
assembler, dans un crucifix, une grille de mots croisés, un roman ou encore dans la façon de moissonner un champ de blé.
Ils semblent qu’ils existe plus d’autoroutes vers l’enfer que d’escaliers pour le paradis.
Que se passe-t-il une fois que les cénobites sont présents ? Plusieurs cas de figures peuvent se produire. Pour peu que vous ayez un mauvais contact, l'entrevue peut mal se passer et les cénobites
feront jaillir des dizaines de chaînes terminées d’un crochet qui vous écarteleront dans une gerbe de sang.
Si par contre vous parvenez à éveiller leur intérêt, les cénobites peuvent se laisser tenter par un marché.
Celui par exemple de leur ramener plus de candidats pour l’Enfer et donc de travailler pour eux dans le monde réel.
Inutile de vouloir les doubler ou se jouer d’eux sinon retour au premier cas de figure. Admettons que les Cénobites vous laissent la vie sauve, cela ne veut pas dire pour autant
qu’ils puissent reparti les mains vides. Il faudra donc sacrifier quelqu’un à votre place.
Si par contre ils estiment que vous êtes prêts à repartir avec eux dans le royaume inférieur, alors les cénobites vont effectuer la pesée de votre âme.
En fonction des désirs et des pulsions qu’ils y découvriront, ils vous réserveront un sort qui peut varier, mais dans tous les cas, soyez assurés que la souffrance éternelle
sera au rendez vous. Si les prêtres infernaux estiment que vos vices sont tristement communs alors vous serez
un simple amusement et votre destination s’appelle le Puits. On y trouve d’autres âmes errantes comme vous, qui ont pour apparence commune celle
d’écorchés, qui se traînent comme un troupeau de souffrance sur les landes désolés du lieu.
Ceci explique la présence des écorchés que nous voyons dans les films. Ce sont des damnés qui sont parvenus à s’enfuir de l’enfer avec l’aide d’un humain.
C’est le cas pour Franck dans le premier opus ou pour Julia dans le second. La phrase “aidez moi je suis en enfer” inscrite lettre de sang sur le mur par l’écorché
prend donc tout son sens. Pour pouvoir espérer devenir humains à nouveau, ils doivent tuer des personnes pour récupérer
leur peau. La population des écorchés du puits subit le joug des Cénobites qui les traitent comme
du bétail et on les verra même se rebeller contre leur maîtres.
L'ORDRE DE L'ENTAILLE
Comment diable devient-on cénobite ? Après une vie d’humain tournée vers les ténèbres, vous êtes appelés par l’intermédiaire de la boite et vos futurs compagnons viennent
vous chercher. S’ensuit une phase fort désagréable qui se tient dans une chambre de reconstruction.
Cette chambre peut prendre plusieurs formes : c’est parfois une vierge de fer, sarcophage médiéval remplis de pics mortels, d’autres fois une niche aux parois semblables à celles
de la boîte. Mais le plus souvent c’est une pièce dénudée à l’ambiance médicale. On y trouve des instruments chirurgicaux d’un nouveau genre mais aussi des tentacules répugnantes
qui fouillent votre cerveau. La machine recompose votre corps dans une nouvelle forme abjecte et fascinante, qui
généralement s’adapte à votre psyché. Mais toujours, votre apparence respire la torture, la souffrance et l’érotisme malsain.
Une fois l’opération terminée, vous êtes officiellement un cénobite. Votre but désormais est de récolter des âmes pour votre Dieu Léviathan, ou bien
de recruter de nouveaux cénobites parmi les humains. Les démons de l’Ordre de l’entaille ont aussi un rôle de police de l’Enfer car
leur but est de rattraper les rares damnés qui parviennent à s’échapper des limbes. Les cénobites évoluent dans une caste très hiérarchisée avec des rôles bien définis,
comme dans un ordre religieux classique. Avant d'évoquer leur lois et leur motivations, arrêtons nous un instant sur leur apparence,
qui est sans commune mesure dans le genre horrifique. Les cénobites ont la particularité d’être aussi repoussants que fascinants.
C’est dans le film originel que les cénobites font leur première apparition. Les maquillages et le jeu des cénobites ont posé les bases de leur école, même si les
comics nous en réserveront les expressions les plus décadentes. Le choix du cuir noir n’est pas anodin.
Quand on se penche sur les occurrences du cuir au Cinéma avant la sortie du premier film en 1987, on est déjà dans un imaginaire assez marqué : outre le blouson noir des
bad boys à moto, le cuir se retrouve souvent sur les méchants de cinéma. Le cuir noir rend asocial, est associé à la domination, au sexe et aux lieux interlopes.
Il est l’uniforme du délinquant, le gant du meurtrier. Le cuir est le choix idéal pour marier attraction et répulsion, eros et thanatos.
Le design des costumes, entre vêtement religieux et tenue de donjon SM crée un contraste particulier.
A cette aura sexuelle sombre s’ajoute les entailles. Souvent le costume est mélangé à la chair.
Il est même souvent conçu pour procurer une souffrance permanente à celui qui le porte. Ce qui est inquiétant chez les cénobites, c’est que malgré la souffrance constante
qu’ils endurent ils sont froids, amusés, calmes et fanatiques, vouant un culte à la douleur qu’ils présentent comme un raffinement ultime.
La douleur est pourtant ce que nous fuyons tous depuis la nuit des temps ; ainsi voir des créatures qui l’ont embrassé en faire une religion nous entraîne dans un malaise
métaphysique et les rends totalement inhumains. Les cenobites peuvent avoir des aspects et accoutrement très différents.
La plupart sont humanoïdes mais certains tiennent plus de l’abomination, de la chimère indescriptible.
Le look cuir et piercings est dominant chez le cénobite mais le milieu possède ses originaux.
On peut notamment croiser des démons vêtus de toile blanche ou rouge. L’un des chefs de l’ordre eux est même affublé d’un costume de général prussien,
quand un autre cenobite aux scarifications faciales présente tout l’attirail du soldat américain.
D’autres ont une physionomie plus monstrueuse, le faciès déformé, la peau d’une autre couleur...
Il existe aussi des animaux qui les accompagnent et les servent comme des chiens ou des abeilles. Le cénobite offre donc aux auteurs qui les façonnent une grande latitude de création
en ce qui concerne la forme qu’ils peuvent prendre. Il en va de même pour leur caractères : la disparité des personnalité chez les cenobites
reflète bien souvent les humains qu’ils étaient. Certains sont rebelles et n’en font qu'à leur tête, d’autres sont cyniques, certains
même tentent de garder une part d’humanité dans leur décision.
LA DIVINE TRAGEDIE
Les cenobites sont pour moi extremement novateurs car ils ont à leur façon agrandi le spectre de ce que le monstre de cinéma peut évoquer.
Leur ambiguïté morale, l’aura lumineuse qui les accompagne, leur calme glaçant et leur cynisme infernal dépassent la terreur de cinéma classique pour la transformer en
une fascination vénéneuse. Une des grandes phrases utilisé par Pinhead pour se présenter est la suivante :
Cette contradiction est donc assumée, pour placer ces entités sur un terrain plus intellectuel et psychologique, pour flouter leurs motivations et les rendre insondables.
Et de fait la manichéisme classique de nos sociétés qui oppose bien et mal est ici inopérant.
Et c’est la l’un des nombreux traits de génie de Barker sur la saga. Cela tient à la philosophie sous-jacente de l’ordre de l’Entaille.
En effet les cénobites ne lisent pas les actions des hommes sous le spectres de bonnes ou de mauvaises actions, mais évaluent vos actes selon qu’ils ont généré du Chaos
ou de l’Ordre. Et cela permet de rendre leur système de valeurs plus complexe. Par exemple un cenobite ne va pas juger un serial killer parce qu'il a tué des gens.
mais il va plutôt évaluer ses motivations et les conséquences de ses actes. D’une certaine façon, le chaos est associé à l’homme et à sa liberté, à l’imprévu
et au pulsions de vie. A l’opposé, l’ordre et la structure sont associés au contrôle, aux lois, à l’oppression
et au système. D’ailleurs en Enfer, cet équilibre est en quelque sorte personnifié par deux divinités
étranges appelés Chidna et Basilisk. Ces deux entités antédiluviennes rappellent la double hélice de l’ADN et symbolise
le nécessaire équilibre entre ténèbres et lumières. Une citation du maître exprime clairement cette balance entre deux forces : “Les ténèbres
ont toujours leur rôle à jouer. Sans elles, comment saurions nous que nous marchons dans la lumière?
Quand les ambitions du mal deviennent trop grandioses, elles doivent être contrecarrées, disciplinées, et même parfois éteintes.
Puis elles réapparaîtront à nouveau comme elle le doivent”. L’ordre du monde est donc un savant agencement de chaos et d’ordre.
Si cet équilibre est perturbé, alors Chidna et Basilisk se battront, alertant ainsi les
cenobites qu’ils doivent réparer cette anomalie en modifiant des destins dans la réalité.
Car le travail d’un cénobite, c’est de sélectionner des gens qui ont un pouvoir sur le monde, pour les faire basculer du côté de l’ordre.
Mais un cénobite doit également en répondre à sa hiérarchie. S’il n’est pas parvenu à manipuler le cours des choses dans le bon sens, alors il
sera jugé lors d’un procès. Chaque cénobite jugé doit s’arracher le coeur pour qu’il soit pesé dans une balance
devant les membres de l’Ordre. Car n'oublions pas qu’au bout de la chaîne de commandement se trouve leur Dieu suprême,
Leviathan. Les cénobites sont donc en quelque sorte des Forces de l’Ordre au service d’une
religion, avec tout l’univers oppressif et rigoureux que de tels termes convoquent. Tirant les fils de l’esprit, Ils manipulent des destins pour les tordre dans leur intérêt...
Quelques cénobites se sont vu attribuer des fonctions particulières qui rendent le mythe encore plus profond. C’est le cas de Soeur Flagellum, qu’on appelle la gardienne de l’ordre.
Flagellum est plongée dans un sommeil méditatif profond dont elle est tiré si son Dieu Leviathan
sent une perturbation dans l’équilibre des forces. Elle en referera aux équipes de cenobites pour qu’ils aillent résoudre la situation
sur le terrain, un peu comme une task force de la damnation. Il existe un autre rôle majeur joué par un cénobite, très symptomatique de la
profondeur de la narration Barkerienne. Mais pour l'évoquer il nous fait revenir au tout départ. Comment les boîtes se retrouvent-elle entre les mains de leurs victimes ?
Une boîte est toujours donnée, protégée et récupérée par un Gardien.. Dans les films, C’est toujours un étrange individu qui remet la boite à quelqu’un.
Même si son apparence change selon les opus, la phrase qu’il dit en tendant la boite est toujours la même :
Au départ un marchand, ensuite un vendeur d’art, le gardien apparaît le plus souvent sous les traits d'un sans-abri à la barbe hirsute et aux yeux fous, qui semble avoir
un lien particulier avec les criquets. Encore une fois ce sont les comics qui nous livrent des clés de compréhension sur ces
fameux gardiens. Tout d’abord ce sont des changeforme, ils ont la capacité de prendre l’apparence
qu’ils désirent pour approcher et séduire la cible sans qu’elle se méfie. Mais comment sont créés ces mystérieux passeurs ? Grâce à notre fameux cénobite
au rôle si particulier. Son nom est Orno, et il possède son propre cabinet dans les entrailles de l’enfer.
Pour créer un gardien de puzzle, Orno choisit un damné qu’il appelle “Matière première”. Il altère son âme en y plaçant un peu de son propre esprit démoniaque.
Il renvoie ensuite son cobaye sur terre pour qu’il puisse avoir des relations sexuelles avec une femme. De cette relation va naître un enfant qu’Orno veillera à rendre orphelin.
Une fois qu’il atteindra 16 années d’une vie de tristesse, Orno lui révélera sa vraie nature en lui offrant la boite dont il sera le gardien attitré.
Du coup avec l’univers Hellraiser on assiste à un phénomène somme toute fréquent qu’on pourrait appeler le “développement mythologique transmédia”.
C’est l’idée qui consiste à étoffer un univers de fiction sur d’autres supports que celui par lequel il est né.
Pour Hellraiser, c’est un trajet somme toute classique à Hollywood pour une franchise à succès : on adapte un livre au cinéma, et s’il a du succès, on développe ensuite
des comics ou des jeux vidéos pour raconter de nouvelles histoires et étendre l’univers. Et si les adaptations sont parfois des coups commerciaux sans âme, il est des cas de figure
où ce passage est extrêmement bénéfique pour une oeuvre. C’est le cas pour Hellraiser. Faire un film fantastique coûte cher et l’on est soumis à une réglementation qui limite
ce qu’on peut montrer. Avec un comic, aucun problème. La seule limite, c’est le talent de l’artiste et l’imagination des auteurs.
LES ENTRAILLES DU LABYRINTHE
Dans l' oeuvre, l’enfer que décrit Barker se démarque fortement des représentations infernales classiques. Là où l’on connaissait un enfer de limbes rouges et brûlantes dirigé par Satan, on
trouve ici un labyrinthe bleu et glacial dominé par Léviathan. La première représentation visuelle du labyrinthe des enfers est livrée dans le second film
de la saga nommé Hellbound, lors d’une séquence qui m’a littéralement convaincu que la saga cachait un potentiel mythologique incroyable.
On y voit pour la première fois une chambre de reconstruction et la fabrication d’un cénobite, mais surtout on découvre un paysage digne des cauchemars les plus vertigineux.
Perspectives qui se perdent au loin, abondances d'architectures nonsensiques, précipices sans fond...
L'inspiration principale de cette représentation provient des travaux de Piranesi, un génial graveur italien qui vécut au XVIIIe siècle.
Ce dernier décida un jour de créer 16 gravures qui présenteraient des prisons imaginaires cauchemardesques.
Dans ce monde étouffant, on pénètre une architecture monumentale, aux multiples cachots suffocants et sales, aux passerelles qui ne mènent nulle part et aux escaliers en spirale.
Mais s'y entremêlent également des poulies, chaînes et autres instruments de torture. Si le labyrinthe rappelle le dédale du Minotaure, il convoque aussi les architectures mathématiques
d'Escher. On peut le citer sans risque puisqu'un plan du film montre une oeuvre de l'artiste.
Pour Piranesi, le lien est tout aussi fort quand on contemple les entrailles du labyrinthe avec ses couloirs multidirectionnels, ses escaliers abyssaux et sa fonction générale
de prison des âmes. Le fait que Barker ait voulu citer Piranesi pour faire de l'enfer un lieu presque carcéral
et froid est d’une originalité forte, qui de plus sied parfaitement aux cenobites. Sur le haut des murs de ce labyrinthe, les cenobites peuvent marcher, se renconter et
surtout prier Léviathan, qui surplombe cette gigantesque zone. Mais lorsqu’on descend des crêtes du labyrinthe pour rentrer dans ses entrailles, on pénètre
dans une zone sombre et dense, aux escaliers qui s’entrecroisent pour desservir les différents lieux de torture et autres administrations infernales.
La profondeur de ce lieu semble sans fin, a l’image des supplices qui s’y tiennent. Les cenobites étant d'anciens humains il est somme toute logique qu'ils gardent des
activités de leur vie antérieure. Ainsi ne soyez pas étonnés de savoir qu'il existe dans le labyrinthe des archives, des
salles d'opération, une armurerie, mais aussi un bar, une salle de spectacle ou encore des lieux de meeting politique.
DANS L'OMBRE DE LEVIATHAN
Enfin, au dessus de ce labyrinthe plane Leviathan. Ce nom tire son origine de la Bible ou Léviathan y est décrit dans plusieurs livres comme
un monstre marin a plusieurs têtes qui se révolte contre Dieu. Ce choix de nom n’est donc pas anodin et sa symbolique a toute sa place en Enfer.
Dans hellraiser, ce volume des profondeurs est aussi désigné comme le Dieu de la Chair, de la Faim, du Désir, ou encore Seigneur du Labyrinthe.
Il est compliqué de créer un Dieu dans une oeuvre fictionnelle, surtout si on décide de le montrer. Quelle forme donner à une idée si abstraite ? Barker a opté, non pas pour une énième
abomination démoniaque classique et éculée, mais pour une forme surprenante et mathématique,
parfaitement symboliques des concepts d’Ordre et de Structure. En effet, le dieu des cenobites est un octaèdre dont les parois rappellent l’ornement ésotérique
des boîtes de Lemarchand. Léviathan gravite, solitaire, dominant les enfers.
Il a le pouvoir de lancer des rayons de lumière noire qui infiltrent votre âme pour vous révéler vos péchés.
Les origines de cette entité sont inconnues mais plusieurs indices pointent vers le fait qu’elle est présente depuis des temps immémoriaux.
On dit même qu’il pourrait être l’ange déchu des écritures. Mais surtout, ce dieu étrange est celui qui fabrique les cénobites.
Il a la capacité de transformer tout être humain en monstre de souffrance et grâce à ses chambres de reconstruction et ses tentacules, il a totale liberté sur la forme grotesque
et terrorisante qu’il voudra vous donner. Léviathan ne parle pas directement, et pour pouvoir échanger avec lui, il faut se rendre
dans ses entrailles. On peut y pénétrer grâce à une paroi qui se déploie et laisse apparaître des marches interminables.
Une fois en son sein, les cenobites doivent jouer sur un orgue organique fait de suppliciés de l’enfer pour espérer communiquer avec ce Dieu.
Dans le film, sa seule forme de langage extérieure est une corne de brume tétanisante qui épelle
le mot GOD en code morse. Nous voici donc arrivés au sommet de l’enfer. Après ce pénible périple, on peut déjà noter que la seule chose qui égale la noirceur
d’Hellraiser c’est son esthétisme noir et sa sophistication mythologique.
LES EVANGILES ECARLATES
Une chose m’a heurtée en préparant cet épisode, c’est que chacun des précédents opus de Mythologics avait droit à son chapitre consacré à la religion catholique.
Que ce soit Freddy et son rapport à l’Enfer, Bloodborne et son panthéon de Dieux qui cherchent à procréer, ou encore Berserk et ses multiples références à l’inquisition...
Toutes ces oeuvres semblent avoir en commun la nécessité de faire référence à la mythologie catholique.
Et pour Hellraiser, le moins que l’on puisse dire c’est que Barker a une approche de la question qui lui est propre. A l’image du personnage, elle est étonnante et complexe.
Dans un ouvrage d’entretiens avec Peter Atkins un des grands scénaristes de la saga, Barker se livre sur la question.
Il confesse d’emblée tenter dans ses écrits de retrouver le rythme de la Bible, qu’il dit être son préféré.
Il voue également une sorte de fascination à la figure du christ. A l’inverse, sa vision de l’église et du dogme respire le rejet le plus contestataire
qui soit. L’oeuvre traduit très bien cette oscillation de l’auteur entre fascination pour le verbe et les symboles bibliques et détestation de ce que les hommes d’église ont fait
de Dieu. Et la saga est parsemée de jeux avec la symbolique religieuse, souvent d’ailleurs pour en retourner
les valeurs. Le mot cénobite lui-même fait référence à un mode de vie religieux existant. En opposition à l’ermite qui vit de solitude et de contemplation, le moine
cénobite vit en communauté. En faisant ainsi référence à un ordre existant, Barker peut ainsi critiquer la religion tout
en en récupérant les champs lexicaux et symboliques. Pinhead est un sobriquet mais sa vraie dénomination est : “Prêtre de l’Enfer”, et le monstre
en épouse même la gestuelle. De plus, les cénobites méprisent le Dieu des hommes. Cette phrase culte de Pinhead en est le parfait exemple :
La vision de l’enfer de Barker n’est donc pas faite de démons cornus qui nous plongent dans des marmite de lave, mais d’un ordre religieux calculateur basé sur la souffrance.
Et si l’on voulait aller un peu plus loin, on pourrait se demander si les cénobites dans leurs concepts ne sont pas très proches de la religion catholique.
En effet, chez les chrétiens, l’acte suprême qui a lancé la religion est la crucifixion d’un messie, qui devint martyr pour sauver les hommes.
On peut presque dire que cet acte de torture est à la base de la religion catholique. Au point que le symbole porté par ses adeptes est un instrument de torture.
Même si cela est présenté comme un acte d’amour suprême, il n’en est pas moins que ce mythe base sa genèse sur la souffrance et le péché des hommes.
Exactement comme les cénobites. Il est d’ailleurs fascinant de voir que la figure christique a elle aussi droit à
sa relecture avec la figure féminine de Morté Mammé. Dans le mythe Barkerien, elle est la soeur de Léviathan, qui l’a faite prisonnière
d’un tombeau de pierre il y a des milliers d’années. Elle est nommée prêtresse du Chaos et l’image qu’elle représente ne fait pas
grand mystère. Encore un camouflet antidogme de l’auteur qui nous dit en somme que Jésus est une femme,
qu’elle est la pulsion de vie et de chaos et que son but est la destruction des cénobites. Impossible de ne pas y voir une dimension politique quand on connaît la place de la
femme dans les religions. Ainsi Clive Barker semble en proie à une fascination pour les récits bibliques originels
et la puissance symbolique de ces mythes, tout en fustigeant le dévoiement purement maléfique de nos religions modernes.
Mais il est une phrase de l’auteur que j’ai d’abord eu du mal à comprendre. Pour Clive Barker, Dieu c'est l’imagination et l’imagination c'est Dieu.
ECLAIRER LES TENEBRES
Il est peut être certains d’entre vous qui ne sont pas habitués aux créations horrifiques et pour qui cet univers est sans doute sale, choquant, déprimant ou répulsif.
Cela nous pousse à nous poser la question : comment peut on imaginer de telles choses ? La création n’est elle pas censée générer de la beauté, de la transcendance, un plaisir
des sens et des yeux? Et moi, qui suis en pâmoison devant cet univers, ai-je des problèmes ? Suis-je une personne
glauque, à me repaître de la sorte de ténèbres métaphoriques ? C’est étrange car j’y vois tout le contraire.
Barker dit bien lui-même que ce qui est de la pornographie pour certains est de la théologie pour les autres. Tout est donc question de point de vue.
En ce qui me concerne, Je vois dans cette oeuvre une ode incroyable à la création. Une déclaration d’amour à l’aventure surréaliste qu'elle suppose.
Je vois enfin dans Hellraiser une réflexion sur les sacrifices de l’Artiste. Après trois mois à vivre dans cet univers, j’ai fini par y penser dans mon sommeil.
Et une nuit, j’ai rêvé de cette couverture de Comic. On y voit une palette de peintre. Les pinceaux sont des lames et la peinture de l'hémoglobine.
Et là j’ai eu la sensation de comprendre. Clive Barker nous explique qu’il écrit comme on peint, et qu’on ne peint qu’avec
son sang. Rien d’étonnant donc à la trouver ici notre dernière famille de candidats à la damnation.
Les artistes... Habités par un besoin impalpable et dévorant, ils sont souvent visités par les cénobites dans la saga.
Ils viennent trouver un jeune poète, un compositeur aveugle, deux écrivains, un peintre fou…
Le travail d’un créateur consiste à départager structure et chaos, à mettre de son âme dans la configuration qu’est une oeuvre.
Dans Hellraiser mais surtout dans la vie, l’Art est un sacrifice, une activité de moine reclus qui n’aurait pour Dieu que son imagination.
C’est une vie où les places sont rares, où l’attente et les apprentissages sont infinis, où l’on doit subir l’avis de gens qui ne vous comprennent que rarement...
La liberté de l’artiste est jonchée de mille obstacles : comment faire pour gagner de quoi manger ? Comment toucher les gens ? Comment faire une oeuvre qui nous excite
nous même ? Comment se surprendre, étonner les autres et marquer leur coeurs et leurs esprits ? Et comment survivre à un monde qui fait tout pour supprimer le rêve ?
Barker est un esprit libre, un homme qui lutte chaque jour contre l’idée de la mort, un homme pour qui l’imaginaire est le mystère le plus grand de l’humanité.
Pour qui l'imagination est Dieu Un homme, enfin, qui n’a pas peur de se frotter à l’obscurité pour en tirer des
joyaux resplendissants. Je ne sais pas s’il vous est déjà arrivé de rencontrer virtuellement un créateur.
Je suis prompt à m’émerveiller sur de multiples sujets, mais ressentir un choc artistique intime face à l’esprit d’un artiste est chose rare.
Et c’est ce qui m’est arrivé avec ce personnage que je contemplait de loin depuis des années, sans rien connaître de lui.
Par une nuit d’insomnie, j’ai tenté ce que je rechigne souvent à faire : tout savoir sur le créateur dont j’explore le travail..
Pour moi l’oeuvre est ce qui m’intéresse en premier lieu et j’ai parfois été déçu en découvrant la personne qui se cachait derrière.
Mais avec Clive Barker, la sensation fut tout autre, vers 4h du matin et après 20 interviews
j’avais l’impression d’avoir trouvé un mentor, un frère, un modèle incroyable. La séquence qui m’a le plus touché, c’est une interview anglaise où Barker fait face
à un parterre de jeunes dont l'âge n’est pas si éloigné du sien à l'époque. Et toutes les questions du public sont curieusement assez réactionnaires et suspicieuses.
Hellraiser premier du nom venait de sortir et tous étaient méfiants face à la singularité
et la violence de l’oeuvre. Et Barker de rentrer dans un plaidoyer doux, compréhensif et sensible sur la puissance
et la nécessité des récits d’horreur, sur la beauté étrange qu’ils renferment. Sur les messages qu’ils delivrent.
Le voir se justifier devant des gens qui ne comprenaient pas sa sensibilité m’a touché au plus haut point, et sa gentillesse m’a confondu.
Du coup je repense souvent à son mantra : “Soyez régulier et ordonné dans votre vie, afin de pouvoir être violent et original dans votre travail”.
Une des beautés de cette saga est de voir l'ambition de ses concepts, la liberté créative et symbolique qu’elle renferme.
Quel émotion de contempler la naissance d’un monde avec sa géographie et son macrocosme, suivre ses héros et ses démons emblématiques se débattant dans une mythologie abyssale,
aux si multiples lectures. Si je parlais de cathédrale en ouverture, c’est parce que chaque détail de cet univers
est cohérent, finement ciselé et qu’il permet 1000 choses, ne s'interdisant rien.
On reconnaît bien là l'oeuvre d'un orfèvre de l'horreur, d’un horloger de l’imagination... qui prendrait le biais de l’art pour révéler des choses que la vie ne montre pas.
L’oeuvre devient alors comme une révélation qui parle à tous, telle une vision métaphorique de notre monde.
Je voudrais terminer, le coeur un peu lourd, ce voyage dans les méandres de cet artiste total par l’une des phrases dont il a le secret :
“Tout ce qui est imaginé ne sera jamais perdu”.